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Le barde bleu
prose [ ]

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by [Reumond ]

2016-05-06  | [This text should be read in francais]    | 

















Je suis nĂ© dans une Ă©glise, c’est certain !

D’ailleurs, ma charmante Ă©pouse me le confirme avec une certaine rĂ©gularitĂ©, elle m’en fait gentiment la remarque, Ă  moi pauvre lutin (natif de Luc-sur-Mer) qui ne ferme jamais ses portes derriĂšre lui, au grand bonheur des mots et des fantĂŽmes, des Anges et des courants d’air.

Être nĂ© dans une Ă©glise est pour moi trĂšs flatteur !

Soit, je suis bien nĂ© dans une Ă©glise et bien c’est vrai, j’ai une sainte horreur des portes fermĂ©es, des culs-de-sac et des piĂšces qui manquent d’air frais, j'ai horreur des Ă©cailles comme des croĂ»tes sur les yeux, des bouchons dans les oreilles, des bouches qui s’autocensurent et de tous ces accĂšs bouchĂ©s Ă  l’émeri ou au ciment. Il en est ainsi des labyrinthes et des prisons, des impasses, des impairs et de tout ce qui manque d’ouverture !

Je dĂ©teste la fermetĂ© des fermetures, la rĂ©sistance des manques d’égards et d’amour, la rigiditĂ© des hommes et des volets clos qui gardent le regard fermĂ© Ă  double tour.

Je vomis les espaces clos comme les barbelĂ©s et les murs de sĂ©paration ; j’exĂšcre corps et Ăąme les chambres Ă  part ; les enfermements et les blocages ; les bĂąillons et les ƓillĂšres qui obstruent des chemins incertains aux idylliques perspectives.

Ave cĂ©lestes ouvertures ! Ave firmaments ouverts aux Ă©toiles ! Ave Champs ElysĂ©es expansifs comme d’incommensurables horizons, Ave 


Je dĂ©sire de l’air, l’air de la paix et la paix de l’air comme la carpe aspire Ă  l’eau ; de l’air renouvelĂ© comme de nouvelles pensĂ©es. Ave ! Je suis pneumatique et j’aspire au verbe ĂȘtre comme aux vents des quatres horizons ; ne suis-je pas la bise qui passe de joie en joue, le ZĂ©phyr qui saute de crique en lagune, et ricoche d’üle en plage, tout comme l’opium donne de l’air aux visions et souffle des bourrasques qui emportent la douleur au loin.

Je n’aime guĂšre les arts ou les livres qui sentent la norme, la mode ou le renfermĂ©. C’est exact, j’ai besoin d’air et de souffle frais, j’ai soif de libertĂ©,de voiles ou d’ailes et de vents, d’espaces aĂ©riens oĂč le bleu est comme un ciel serein peint par Magritte ; j’ai faim d’au-delĂ  et d’ailleurs, d’ascension et d’assomption possibles ; je n’aime guĂšre les sĂ©questrations Ă©conomiques, politiques ou religieuses ; les chaines et les fers de l’esclavage, ainsi que les ferrures de toutes les formes de serrures ; les clefs et les verrous ; les cadenas qui verrouillent les sens et les relations.

Je dĂ©teste de tout mon ĂȘtre les portes et les cƓurs blindĂ©s, les loquets qui barrent le passage ; les pierres et briques qui condamnent les ouvertures ; les barreaux de prison et les cages Ă  oiseaux qui empĂȘchent de passer ou plus encore de voler de son propre zĂšle.

Oui, j’ai une forte rĂ©pulsion et mĂȘme une forme d'apprĂ©hension de tous les instants pour tout ce qui pourrait ĂȘtre fermĂ© Ă  tout jamais ; comme une profonde crainte viscĂ©rale pour les volets et les rideaux de la crĂ©ation ; pour les multiples museliĂšres et toutes les censures de tous les clausoirs de la libertĂ© de penser et de s’exprimer.

Si effectivement, je suis nĂ© dans une Ă©glise, alors, elle Ă©tait une sorte de temple ouvert aux quatre vents ; comme une traversĂ©e de lumiĂšre, un chƓur bĂ©ant comme une baie donnant sur la forĂȘt, la montagne ou l’ocĂ©an.

Une chapelle sans mur, une église sans contrainte, paradoxalement enclavée de vides, tels un grand vertige de liberté sans obligation, un émerveillement sans clÎture et sans cloßtre.

C’était surement ça, une Ă©glise pleine d’espace et d’espĂ©rance, une claire-voie donnant sur un infini sans limites et sans dogme, dans une fine enveloppe d’amour transparente pour chacun et ouverte Ă  tous.

Et pourtant
 Je suis Le Barde Bleu d’une exoplanĂšte, comme un autre moi-mĂȘme en-dehors de moi, comme le fruit blet des amours d’une Barbie qui avait oubliĂ© sa pilule de la veille, et d’un Spider Man sous l’effet des anabolisants.

Pataphysicien de la derniĂšre heure, certes, je suis bien nĂ© dans une Ă©glise en spirale ouverte au Cosmos et au Verbe comme la Gidouille d’Ubu, et mĂȘme nĂ© de nouveau et plusieurs fois encore et encore, dans d’autres chapelles, d’autres cathĂ©drales ou bien d’autres basiliques d’Orient ou d’Occident.

Des Ă©glises rĂ©formĂ©es, peut-ĂȘtre bien, mais jamais refermĂ©es ! Des chapelles Latines, avec des oratoires comme des laboratoires, probablement, mais jamais closes comme des latrines – des Ă©glises aux girons Ă©ventĂ©s comme Ă©ventrĂ©s pour engendrer la vie ; des paroissiales Ă  taille humaine et de majestueuses abbayes bien accueillantes, avec des jardins entrebĂąillĂ©s sur le monde, des vitraux bĂ©ants de lumiĂšre, lĂ  oĂč peuvent s’élever les Ăąmes et les cƓurs comme la flamme rouge des lumignons et la fumĂ©e des encensoirs. Des Ă©glises, peut-ĂȘtre, mais avant tout des lieux de tendresse et de pardon, avec de la fraternitĂ©, de la fraĂźcheur, de la paix et un silence bon comme le pain bĂ©nit.

Comme Sainte-Marie de la Pierre-qui-Vire dans le Morvan oĂč pour la premiĂšre fois j’appris Ă  communiquer sans utiliser les mots – ou alors, comme le monastĂšre de Notre-Dame des Voirons Ă  noĂ«l 1967, oĂč sous une Ă©paisse couette de neige je dĂ©couvrais le vrai silence.

Des Ă©glises ouvertes, telles des balises Ă©ternelles, des lieux bĂ©nis, sacrĂ©s ... Il en fut ainsi depuis ma prime enfance, de Notre-Dame de La DĂ©livrande (Douvres) oĂč je fus consacrĂ© Ă  l’ñge d’un an, jusqu’à Notre-Dame-des-Anges (Clichy-sous-Bois) oĂč je fis ma grande Communion et ma Confirmation ; de Notre-Dame du Raincy oĂč j’étais au collĂšge Notre-Dame, jusqu’à Notre-Dame-d’EspĂ©rance de Charleville-MĂ©ziĂšres oĂč j’aime aller Ă©crire et mĂ©diter Ă  l’ombre de la vie; en passant par N.Dame de Chartres avec ses vitraux bleus, et Notre-Dame d’Amiens...

Je suis non seulement nĂ© dans une chapelle, mais je suis moi-mĂȘme un petit temple de l’esprit !

Je suis Le Barde Bleu des champs et des villes, au profil barbelĂ© comme un Christ couronnĂ© d’épines – Je suis la VĂ©nus de mille eaux aux couleurs de la Manche, lĂ  oĂč la CĂŽte se fait Nacre comme celle d’Adam se fit femme ; lĂ  oĂč le sable Ă  l’odeur forte du varech, et oĂč Ă  marĂ©e haute les flots me parlent de mes origines marines.

Notre-Dame, telle l’étoile de la mer de Charles PĂ©guy, « ĂŽ reine de douleur » soit mon guide dans la nuit. Pierre Corneille dans un Ă©lan mystique ne disait-il pas : « Homme, qui que tu sois, regarde Ève et Marie ». PoĂšte ou pas, entre l’Ève qui m’engendra et La Tout-Autre inaccessible et inconnaissable, j’écris mon propre chemin d’espĂ©rance, et avec Paul Verlaine qui en Sagesse demandait conseil Ă  cette « Porte du ciel » j’ouvre mes oreilles et mon cƓur Ă  toute suggestion de la Mer, du Ciel et de la Terre.

Notre-Dame, je suis lĂ  moi-mĂȘme devant toi dans toute ma triste et pauvre nuditĂ© de poĂšte, tel un barde sans voix et sans parure, sans puretĂ© et sans ornement en dehors de mes pauvres mots. Alors, quand j’aurais fini de jouer de toutes mes croyances erronĂ©es, de toutes mes vaines idĂ©ologies et de toutes mes identitĂ©s fictives
 je ne te demanderais qu’une chose, une seule, laisser la porte ouverte.

À toi N.D., refuge des poùtes, rien qu’une petite porte entrouverte !

Je suis un « lutin » fier de l’ĂȘtre, comme je suis ma propre mĂ©moire et mon gros lot de souvenirs qui carillonnent comme les cloches des vaches qui broutent paisiblement dans les bocages de ma tĂȘte, couleurs d’alpages au cƓur de notre Suisse normande.

Les souvenirs d'enfance affluent en moi comme le lait abondant d’une inĂ©puisable nourrice.

DerriĂšre la porte close, c’est le sein des seins, il faut l’ouvrir, absolument, car on ne fait pas d'ƒdipe sans tuer le pĂšre NoĂ«l, et pas d'Hamlet sans casser d’Ɠuf, c’est la vie, c’est ainsi, soit-il, la vie psychique soit-elle, oĂč deux par deux les choses reviennent comme les TĂ©moins de JĂ©hovah avec toute la mĂȘme dĂ©termination et toute l’amplitude des pulsations cardiaques d’un car jacker volant une petite voiture Dinky Toys, en 2070 dans un supermarchĂ© galactique. Parce que nous sommes toujours tiraillĂ©s entre le passĂ© simple et le futur complexe !

Je suis sur roulette russe, un caddy plein de mots ; hagard comme un Ă©lĂ©phant rose sans dĂ©fense dans un magasin de porcelets sous haute surveillance. Je donne l’impression de courir, car j’ai des hackers sprinters Ă  mes trousses, des hackers coureurs de fond qui ne cessent de triturer ma mĂ©moire vive
 Ce qui me donne des migraines Ă©pouvantables et de grands martĂšlements de temp (e) s, comme quand on se met soi-mĂȘme martel en tĂȘte Ă  coups de fantasmes pour passer la douane, avec des rĂȘves pleins ces bagages, des rĂȘves gros comme les montgolfiĂšres du chĂąteau de Balleroy, lĂ  oĂč ma propre mĂšre est nĂ©e en 1921.

Car je suis un Barde bleu, un nomade normand, un migrant nouĂ© comme un nƓud gordien. Et quand la migraine frise l’horizon avec un fer chaud pour boucler les vagues, je deviens moi-mĂȘme Ă©trille sur une plage avec vue sur terre.

Oui, l’air de rien, les souvenirs reviennent Ă  la charge et remontent Ă  la surface de mes mĂ©ninges, avec un bruit sourd, comme des bulles d’air dans un jacuzzi hydromassants, comme des mains de sirĂšnes sur ma peau fripĂ©e; faisant sur ma personne des plis et des rides profondes tels des remous de mĂ©moire, des lignes calligraphiĂ©es sur du papier -sillon comme un vieux vinyle sur lequel mon pĂšre chante, comme chaque annĂ©e, « Minuit ChrĂ©tien ».

La mĂ©moire est photographique autant qu’elle est phonographique, c’est ainsi que les enregistrements se suivent et ne se ressemblent pas.

Il faut le vivre pour le croire, je suis le barde bleu et sujet de sĂ©ismes de l’ñme et l’objet de tremblements de main probablement impossibles Ă  caser sur l'Ă©chelle de Richter, mais pouvant ĂȘtre mesurĂ©s sur l’échelle de Jacob.

Entre de grandes magnitudes et de fortes amplitudes spirituelles, la vie se dĂ©ploie, entre la vie, l’amour et la mort, le haut et le bas, l’extĂ©rieur et l’intĂ©riorité  comme dans un rĂ©cit, un double de la stupeur et des tremblements d’AmĂ©lie Nothomb, ce qui ressemble Ă  de petits tsunamis de ventre ou Ă  de moindres raz de marĂ©e de tĂȘte - ce qui provoque en moi la nausĂ©e, et peut-ĂȘtre mĂȘme chez vous aussi, avec des perceptions extra-sensorielles, des Ă©tats modifiĂ©s de confiance, de grands « et moi » « et vous » comme des flux de pensĂ©es qui roulent comme sur un billard amĂ©ricain entre « Je » et « Tu », entre celui qui Ă©crit et ceux qui lisent.

Avec mon sac Ă  billes cousu par ma mĂšre l’Oie, je suis le vilain petit canard. Les yeux grands ouverts comme des globes de verre colorĂ©s, les billes roulent dans un long kalĂ©idoscope vers les trous noirs de l’oubli. La vie roule ainsi, la bile blanche dans un grand trou noir, et la bille noire dans un grand chou blanc. La moralitĂ© de l’histoire c’est que la bile et la bille roulent dans le mĂȘme sens.

La vie, l’amour et la mort sont des jeux de sociĂ©tĂ©, comme les jeux de Dada, de Nain jaune ou de l'oie
 Enfant, sur le parquet de chĂȘne en chevrons de la salle Ă  manger, pour aller jouer autour de la table familiale, nous marchions avec des patins comme des manchots empereurs sur une banquise lustrĂ©e. Aujourd’hui encore, je marche sur la pointe de la plume, sans faire le moindre bruit avec le mĂȘme sang d’encre, en me souvenant du temps oĂč j’étais un vĂ©ritable goĂ©land.

Sur la table de bridge marquetĂ©e avec ses tiroirs secrets pour les cartes Ă  jouer et son plateau tournant tel celui d’un spirite, mon pĂšre nous initiait au jeu d’échecs.

Ainsi, comme dans des images mythiques ou mĂȘme bibliques, au fil des weekends et des vacances, sur l’échiquier des jours, la vie opposait le pĂšre et ses fils, le frĂšre contre le frĂšre
 pour jouer aux jeux compliquĂ©s de la vie.

Depuis ce temps, j’ai dans la tĂȘte un plateau compact, celui d’une table de bridge en marqueterie, composĂ©e de soixante-quatre cases blanches et noires sur lesquelles je migre


C’est un plateau de « Je » aux « enjeux » innombrables, avec son sablier en guise de pendule pour dĂ©compter le temps. C’est avec les calots mĂ©talliques de roulements Ă  billes que mon pĂšre ramenait de l’usine que je jouais aux billes.

Elles roulent lourdement sur le sol de la Dhuis, lançant des reflets mĂ©talliques, ceux de l’acier bien poli. Nous sommes Ă  Clichy-sous-Bois avant 1960, avant le choc des cultures ; avant le retour des pieds-noirs en rĂ©gion parisienne, bien avant que poussent les HLM champignons sur ce qui restait alors de la forĂȘt de Bondy.

Dans les souvenirs je plonge, c’est “le trou normand”, comme des planĂštes folles, les 16 boules glissent vers les six trous noirs – tels un flot d’hormones tiĂšdes qui me traverse, un flux de mĂ©moire, de rĂ©miniscences explosives comme l’essence dans un moteur Ă  souvenirs.

Du haut de la rive droite de la Souleuvre, Ă  proximitĂ© de FerriĂšre entre Caen et Vire, entre le Ciel et la Terre, la tĂȘte et le ventre, l’extĂ©rieur et l’intĂ©rioritĂ© 


Ă©quilibriste sur le fil des mots, funambule fou, funambule de Dieu, je saute Ă  l'Ă©lastique, au-dedans de moi-mĂȘme je saute, comme au bout de bretelles extensibles Ă  l’infini. Du haut de mes septante ans et des 60 mĂštres qui me sĂ©parent de mes souvenirs et de la riviĂšre que je surplombe comme un gĂ©ant qui regarde ses pieds d’argile, je sursaute !

Mais ce n’est qu’un rĂȘve ! Enfants dĂ©jĂ , en vacances nous venions lĂ  pique-niquer en famille, piquant du nez sur le fond de la vallĂ©e, cultivant le vertige du haut de nos dix ans. Oui, bien avant 1970, avant que le pont Eiffel ne soit dĂ©montĂ©. Vous l’ignorez probablement, croyant davantage au jeu de mots et aux effets de style comme le charbonnier croit aux miracles, mais vous vous trompez certainement ! Comme le saut Ă  l’élastique, la poĂ©sie est elle-mĂȘme un art difficile, plus qu’un simple sport, c’est une activitĂ© extrĂȘme Ă  sensations fortes ou excessives. Au-dessus des vides, des mots et des pages blanches, la poĂ©sie, c’est un gouffre !

Tout ça pour tenter dĂ©sespĂ©rĂ©ment de dire quelque chose du RĂ©el. Tous ces mots pour prendre le risque de tendre Ă  l’essentiel ; Car la simple rĂ©alitĂ© ne peut satisfaire le poĂšte, il lui faut creuser davantage la rĂ©alitĂ© de la rĂ©alitĂ© avec ses ongles, Ă  coup de mĂ©taphores comme le mineur cherche le minerai prĂ©cieux ; il lui faut Ă©vider les Ă©vidences, sauter dans le vide et l’inconnaissance pour y cultiver le doute le plus tĂ©nĂ©breux et faire jaillir ainsi du sol les lumiĂšres les plus Ă©blouissantes ; telles des pĂ©pites de mot plus dorĂ©es qu’une icĂŽne ou qu’une statue de Bouddha.

Sachez-le, malgrĂ© les apparences, on Ă©crit avec de l’adrĂ©naline et pas avec un clavier d’ordinateur ! « Ceci n’est pas de l’encre » dirait Magritte, mais du sang et du sens ! Ceci n’est pas un Word, mais un cri primal ou un souffle vital.

En poĂ©sie comme dans un no man’s land minĂ©, il y a toujours du danger, d’énormes crevasses, des bĂ©ances comme des trous de bombe et mĂȘme des grenades Ă  retardements, des illusions nombreuses et un tas de faux-culs pour vous faire abandonner la QuĂȘte, l’aventure intĂ©rieure, le pĂšlerinage aux sources.

La poĂ©sie, c’est comme un saut en parachute libre, comme un marathon sur des sables mouvants ; un parcours de moto-cross entre les mots qui manquent et les phrases inapaisables ; c’est une escalade Ă  pic au-dessus du papier cru, comme un raid nature oĂč toute la nature voudrait reprendre toute sa place.

Écrire de la poĂ©sie, c’est comme de se promener avec un gilet explosif toujours prĂȘt Ă  Ă©clater ou comme un dĂ©sir disposĂ© Ă  imploser.

La poĂ©sie, c’est un Ă©tat de semi-dĂ©bauche de mots plus ou moins corrompus ; au pĂ©ril des lignes, c’est un piĂšge Ă  mot prĂȘt Ă  se refermer sur vous ; une oubliette, une somme d’embĂ»ches, tel un coupe-gorge, lĂ  juste au coin de la reconnaissance, de l’acadĂ©mie ; vous avez beau vous protĂ©ger, battre en retraite ou crier « au loup », la poĂ©sie sans cesse vous rattrape, car elle est dĂ©pendante de vous ; le poĂšte paie toujours de sa personne les mots qu’il emploie, car en vĂ©ritĂ©, ce sont les mots qui emploient le poĂšte.

Pas question ici de courir sa chance, de tenter les anges, le poÚte dÚs le départ est un malchanceux !

alors, seuls le grand Ă©cart, le saut pĂ©rilleux, l’expĂ©rience extrĂȘme peut l’aider Ă  avancer, mĂȘme s’il risque gros, mĂȘme s’il Ă©crit Ă  fonds perdu, mĂȘme si l’épĂ©e de DamoclĂšs le menace ; mĂȘme si le papier est brĂ»lant comme les lĂšvres de l’enfer, le poĂšte ne peut qu’écrire au risque de la vitesse de pointe, de la hauteur vertigineuse, de la plongĂ©e libre ; Ă©crire en Ă©cumant les mots en Ă©vitant les Ă©cueils, comme celui qui ferait du delta-plane ou du parapente au fil de sa cursive, tout ça simplement parce que la poĂ©sie reste une impossible Ă©quipĂ©e, une intrĂ©pide spĂ©lĂ©ologie au cƓur de l’inconscient, une Ă©chappĂ©e doublĂ©e d’une aventure du cƓur au cƓur du monde.

Alors, il lui faut continuer Ă  Ă©crire en parcourant la coursive de sa cursive, avec toute l’audace d’un alpiniste qui se jouerait du vide total, comme en situation d’écriture automatique ou comme dans une sorte de poĂ©sie acrobatique pleine de mille pĂ©rils.

Sur mer, sur terre ou dans l’air, la poĂ©sie comme la littĂ©rature n’est pas un divertissement, loin de lĂ , et encore moins un violon d’Ingres ! Elle engage vĂ©ritablement, elle hypothĂšque tout l’ĂȘtre de celui ou de ceux qui osent s’y exposer comme au feu du soleil : moralement, psychologiquement et physiquement, allant mĂȘme jusqu’à leur brĂ»ler les ailes, en attirant les coups du sort ou en provoquant les Ă©checs au Roi.

AppĂątĂ© moi-mĂȘme, pas Ă  pas (appĂąt), mot Ă  maux, je sais les dangers de l’écriture ! En fonction de la vitesse d’action et de rĂ©action, ou de la hauteur des ambitions, elle peut provoquer toute sorte de dĂ©boires, de lourdes dĂ©ceptions, et mĂȘme de profondes blessures narcissiques...


Pour ma part, nĂ© de la semence d’un survivant des camps de la mort, je n’ai peut-ĂȘtre pas de sang bleu, mais j’ai de la sĂšve de bouleau qui coule dans mes veines et traverse les grandes artĂšres des mĂ©gapoles oĂč j’écris dangereusement.

J’ai pareillement la main verte de ceux qui mangent des algues bleues et brunes. J’ai du corail au fond des pupilles et le regard des grands oiseaux de mer. Ce qui, entre nous, ne me donne aucun avantage !

Entre la scĂšne des souvenirs et le théùtre onirique, mille scĂšnes me reviennent Ă  l’esprit comme des fantĂŽmes diaphanes. Mon frĂšre Jacques, de cinq ans mon aĂźnĂ© a peur du noir – alors, il me demande de me lever de mon lit et d’aller allumer la lumiĂšre.

À cĂŽtĂ©, dans la chambre des parents, il y a du bruit, c’est lĂ  que se jouent toutes les scĂšnes dites primitives, les scĂšnes dites originaires et l’énigme des mots d’amours, des souffles rapides, des relations entre les grands et les parents. La poĂ©sie, c’est pareil, on est toujours derriĂšre une porte, au bout d’un escalier dessinĂ© par M.C. Escher – avec des paliers pleins d’autres portes, dans d’impossibles constructions des mots de brique, de montĂ©es et de descentes constamment paradoxales. Il vous faut Ă©crire Ă  la lumiĂšre des mers phosphorescentes dans des miroirs sans cesse dĂ©formĂ©s et dĂ©formants, avec des rĂȘves plus rĂ©els que la rĂ©alitĂ©, des visions tortueuses Ă  l’intersection de l’imaginaire et du symbolique, la plume ou le clavier comme emportĂ© par le tourbillon des mĂ©tamorphoses.

Écrire de la poĂ©sie, c’est marcher dans un ruban de Moebius oĂč l’on revient toujours Ă  son point de dĂ©part, avec en soi l’image d’un autre monde derriĂšre chaque porte, derriĂšre mille portes qu’il nous faut ouvrir en cascade Ă©prouvante. Vous voyez bien que la poĂ©sie n’est pas une simple Ă©vasion, une fuite en rimes, ou alors c’est qu’elle relĂšve davantage de « La grande Ă©vasion », celle qui vous vide, qui vous extrait de vous-mĂȘme comme une totale dĂ©possession, avec au bout de la main le manque et au ventre cette faim qui vous exproprie sans cesse dans des ailleurs.

« Ma faim, Anne, Anne, Fuis sur ton Ăąne. » (A. Rimbaud – FĂȘtes de la faim).

Attention aux yeux ! Mes yeux ont tellement vu, vu au passĂ© composĂ© comme ils ont vu au prĂ©sent dĂ©composĂ© ; ils ont tellement cru aux miracles et tellement vu d’illusions, tellement lu aussi, qu’ils en sont devenus comme de vieilles peaux parcheminĂ©es ; formellement et fondamentalement, dans la forme et dans le fond, Ăąme, mon Ăąme ne vois-tu rien venir ? Ne vois-tu rien qui puisse me libĂ©rer ce cette onction ?

Il Ă©tait une fois ... et j’ouvre une nouvelle porte en moi. Comme Le Barbe bleue, je suis de la race maudite des Cagots, celle des Ă©ternels migrants, je suis du cĂŽtĂ© des ArmĂ©niens, des pieds-noirs, des juifs, des exclus et de tous les immigrĂ©s...


A l'inverse des contes, je n’ai point « de belles maisons Ă  la ville et Ă  la campagne », point de « vaisselle d’or et d’argent, des meubles en broderie, et des carrosses tout dorĂ©s ».

Mais par malheur, j’ai la barbe en fleurs et cela me rend champĂȘtre et poĂ©tique. Mais ce n’est qu’une apparence, une triste rĂ©alité  Ce qui est laid et terrible dans ma vie et cette histoire en particulier, ce n’est pas mon profil poĂ©tique et ma barbe bleue, c’est le poids des mots, ceux qui ne cessent de me demander en mariage 
 un mariage noir comme l’ébĂšne d’une esclave de rĂȘve.


La poĂ©sie, ce n’est pas une promenade idyllique, une partie de beaux mots et de vers rutilants pour l’oreille ; ce n’est pas que du rire, de la rime et de la rĂ©jouissance comme un grand festin de lumiĂšres et de belles images qui coulent de source et sentent la rose.

En poĂ©sie comme en religion ou en politique, ce qui est terrible, c’est d’ĂȘtre soi-mĂȘme la clef de soi, pas la clĂ© de sol ou de fa qui ouvrent quelque agrĂ©able symphonie, mais d’ĂȘtre « cette petite clef-ci », comme le raconte Perrault dans Le Barbe bleue ; celle qui ouvre Ă  l’intĂ©rioritĂ©, au Saint des Saints, celui qui se trouve derriĂšre chaque porte, chaque escalier, chaque palier


« Au bout de la grande galerie de l’appartement bas ».

L’appartement « bas », lĂ  oĂč tout semble normal au commun des mortels, mais oĂč le sang se change en encre comme l’eau en vin, par quelque processus alchimique ou mieux encore par celui d’une heureuse transsubstantiation littĂ©raire.

Quand vous descendez en vous par des chemins escarpĂ©s et des escaliers dĂ©robĂ©s, porte aprĂšs porte, jusqu’au seuil du fameux « cabinet », lĂ  oĂč la tentation est si forte qu’il vous faut Ă©crire et Ă©crire encore, ouvrant les portes une Ă  une, les fenĂȘtre les unes aprĂšs les autres, les mots, les uns aprĂšs les autres


jusqu’à percevoir Ă  travers le plancher et les murs, lĂ  oĂč dorment d’un sommeil profond vos fantĂŽmes et vos secrets anciens, ces vĂ©ritĂ©s sur vous-mĂȘmes surtout, des vĂ©ritĂ©s caillĂ©es par le temps, des libertĂ©s conditionnelles Ă©rodĂ©es par les larmes, des souvenirs morts d’avoir Ă©tĂ© oubliĂ©s, des mots rouillĂ©s d’avoir Ă©tĂ© si peu utilisĂ©s, ainsi que nombre de sentiments et d’émotions refoulĂ©es ; car la clef de Barbe bleue « Ă©tait fĂ©e » (Perrault) comme le poĂšte est « fait » jusqu’à la chair de sa chair, jusqu’à l’os des maux, et « fait » et « refait » jusqu’à la moelle des mots , couvert de mots comme de sang et de sĂšve, couvert de sang comme de sens, couvert de peur au point de penser mourir en Ă©coutant cette voix intĂ©rieure qui lui dit sans compassion :

« Hé bien, vous avez voulu entrer dans le cabinet »

Et bien écrivez maintenant ! comme dans un conte de Perrault ou une fable de Monsieur de La Fontaine !

Alors, vous aurez beau vous jeter Ă  terre pour lĂ©cher les pieds des muses, en pleurant toutes les larmes de votre corps dĂ©fait, et dire tous les vers en rime que le monde puisse contenir, rien n’y fait, vous ĂȘtre « fait » et « refait ». Faits et geste vous n’avez plus qu’à reprendre la plume comme on prend le chemin de l’exil.

MĂȘme en demandant pardon comme on demande l’aumĂŽne, « avec toutes les marques d’un vrai repentir de n’avoir pas Ă©tĂ© obĂ©issant(e) » (Perrault) Rien n’y fait
 rien de rien, vous ĂȘtre « fait » et « refait » encore et toujours...

Car La PoĂ©sie, il faut l’expĂ©rimenter, est une maĂźtresse femme dangereuse, un vrai maĂźtre au cƓur dur comme le diamant ; vous vouliez Ă©crire, alors il vous faut Ă©crire maintenant ! Vous aurez beau crier de tout votre cƓur : « Anne, ma sƓur Anne, ne vois-tu rien venir ? » cela ne servira Ă  rien et surtout pas la poĂ©sie !

Celui qui ne voit que « le soleil qui poudroie, et l’herbe qui verdoie » se dit peut-ĂȘtre « poĂšte », certes, Ă  sa maniĂšre, il l’est un peu, cependant la main qui Ă©crit n’est pas forcĂ©ment celle qui libĂšre, et les mots rĂ©digĂ©s ne sont pas nĂ©cessairement ceux qui ouvrent les portes.

La moralitĂ© de cette histoire, c’est que la poĂ©sie n’est pas du tout l’Univers enchantĂ© de Disneyland, mais que bien son contraire, elle se relĂšve bien souvent comme un univers dantesque, un monde tĂ©nĂ©breux Ă  l’instar de celui de Mirbeau ou d’Artaud, c’est lĂ  mĂȘme l’univers d’un LautrĂ©amont ou d’un Rimbaud
 Un jardin des supplices, une folie en quelque sorte !

« Quand on creuse le caca de l’ĂȘtre et de son langage, il faut que le poĂšme sente mauvais » (A. Artaud - Lettre de Rodez)

C’est ça une poĂ©sie, une Ă©criture qui, Ă  l’instar du théùtre d’Artaud est « Un théùtre de sang » qui « vise Ă  la transformation organique et physique » , une profonde mĂ©tamorphose, une mue de l’ñme 


C’est comme au cirque, certains poĂštes peuvent se contenter d’ĂȘtre des amuseurs « pudiques », et trĂšs souvent mĂȘme « publics » et mĂ©diatisĂ©s, au lieu d’ĂȘtre les ennemis publics, ceux qui Ă©crivent d’immondes ou impossibles vĂ©ritĂ©s pour libĂ©rer la parole et la vie, des sujets aux objets de discorde. La poĂ©sie est un engagement de tout l’ĂȘtre, pour la libertĂ© et la vĂ©ritĂ©.

Dans l’arĂšne, du monde, ĂȘtre dresseur et aligneur de mots et de belles histoires ne suffit pas, il faut ĂȘtre montreur de maux et redresseur de torts.

À travers un passĂ© composĂ© et un prĂ©sent dĂ©composĂ©, il faut tendre toujours plus Ă  un futur possible. C’est quand les mots frisent la mort qu’ils engendrent la vie et l’amour. L’écriture sublime, c’est le talent sublimĂ©, c’est cette conscience du danger prĂ©sent et de la mort toujours possible. La poĂ©sie veut qu’on lui sacrifie tout et surtout jusqu’à son dernier talent !

Tout comme je hais les portes fermĂ©es, la poĂ©sie abomine les troubadours Ă  l’eau de rose, ceux qui Ă©crivent pour la gloire ou pour Communale - ces clowns jongleurs de mots qui ne sont que des clones de versificateur et d’illustres manipulateurs, les flatteurs vivant et profitant bien de ceux qui les Ă©coutent.

Comme discipline dangereuse, la poésie est aérienne et acrobatique.

Sur la piste du cirque littĂ©raire, il nous faudrait passer de la poĂ©sie Ă©questre pour bourgeois dresseurs de dictionnaires Ă  cette douloureuse itinĂ©rance qui exclut de son siĂšge toute forme d’immortalitĂ©. L’écriture est donc comme une « mĂ©tamorphose » kafkaĂŻenne, elle est Ă  la mĂ©tamorphose ce que la mĂ©taphore est Ă  la rĂ©alitĂ©, un impossible chemin qu’il nous faut quand mĂȘme prendre, faute de RĂ©el !

L’acte poĂ©tique dont je parle est par excellence un « engagement » de chaque instant, loin des cercles et des Ă©coles. Tout comme la vie, la mort ou l’amour, on vit la poĂ©sie comme une mĂ©tamorphose de soi-mĂȘme, on ne joue pas de la poĂ©sie comme du saxophone, on ne jouit pas de la poĂ©sie comme d’un beau paysage, on s’engage Ă  rester une porte ouverte pour soi-mĂȘme ou les autres, ou l’on s’en va !

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